
Chers tous… en discutant avec un vieux sage hier soir, je me suis moi-même retrouvée à sortir quelque chose que j’avais sur le cœur, qui pesait lourd, aussi lourd que les larmes de rage qui sont sorties, aussi lourd que la responsabilité qui nous incombe lorsque quelqu’un va mal de l’épauler et non de l’enfoncer, aussi lourd que l’envie de le prendre sous son aile et lui apprendre à voler du mieux qu’il peut, d’assumer la responsabilité de voir naître des sourires sur les visages trop longtemps éteints au lieu de les éteindre davantage…
Une amitié, peu importe sa longueur ou son intensité, c’est prendre soin les uns des autres. C’est être soudés devant l’adversité et ne faire qu’un lorsqu’un ennemi se présente. C’est ne pas réfléchir et prendre la défense de l’autre et en dehors de tout jugement, poser la question du pourquoi nous en sommes arrivés là avant de tirer au boulet rouge.
Je voudrais raconter une anecdote comme il y en a sûrement déjà… mais c’est la mienne.
Je suis arrivée sans moi-même m’en rendre compte dans ce petit club de voile, me suis fait enrôler par mon vieux sage du soir, qui m’a rendu l’espoir qu’un jour je pourrais reprendre du plaisir à faire ce que j’aime le plus au monde : naviguer à la voile. Ce vieux, m’a poussée hors de ma zone de confort, hors de mes -mauvaises- habitudes bien taillées d’avoir toujours le contrôle sur ma journée. Il m’a même tellement confrontée à l’inconnu, qu’il m’a embarquée deux jours en Normandie après seulement quelques heures de navigation à ses côtés, bien insuffisantes pour la confiance que j’aurais en moi et surtout mes compétences de sortir totalement de mon cadre confortable et routinier. Pour couronner le tout, j’apprends qu’il ne sera pas dans mon Néo, mais dans celui de sa fille, et qu’il me collait un équipier que je n’avais jamais vu, qui avait une réputation à la hauteur de la tête qu’il tire sur une réunion de CA, et qui en plus, avait encore moins d’heures que moi dans ce foutu Néo… Je ne sais quelle folie m’a prise, j’ai failli annuler, j’ai paniqué et finalement je me dis que rien ne pouvait m’arriver de pire que la triste vie que je menais, qui semble être parfaite, mais qui ne me rend pas heureuse…
Me voilà donc à 5h du matin ce samedi-là, avec cet inconnu garé devant chez moi, le Néo attaché à ma voiture, et lui qui s’apprêtait à nous suivre jusqu’en Normandie. Je me suis demandée tout le chemin ce que j’allais bien pouvoir faire et dire à cet équipier, qui à première vue n’avait rien en commun avec l’HandiVoile, sinon d’avoir été le seul à répondre présent pour mon vieux sage et moi-même… En plus, quelle idée de me suivre, il croyait sans doute qu’on ne savait pas conduire avec un bateau derrière ??
Arrivés comme prévu, pas une parole, que des commentaires et des reproches sur l’organisation mal faite qui nous a empêché de naviguer ce matin-là, nous laissant comme deux cons sur le quai à regarder les autres. Bateau pas en ordre, rayé de la liste des participants, les averses… le week-end de rêve pour commencer une relation amicale… c’est sûr, je n’avais plus du tout envie de rester là et avais en tête de revenir chez moi sur cet échec cuisant… mais c’était sans compter sur mon vieux sage qui sait très bien ce qu’il fait, l’air de ne pas y toucher avec sa délicatesse de Gaston Lagaffe…
Me voilà collée dans le deuxième bateau avec mon équipier, toujours la tête de six pieds de long, qui devait probablement se demander ce qu’il faisait là, avec moi et surtout qui ne savait pas plus que moi ce qu’il devait faire et comment s’y prendre, entre ce bateau et moi qui gite autant que lui, la force que je n’ai pas toujours et lui qui ne m’avait même jamais approchée pour avoir une petite idée… Je pense que c’était notre premier point commun : « Merde pourquoi on a accepté ». Je ne parle même pas de nos têtes au réveil avec les yeux dans la tasse de café, et surtout le regard qui s’est échangé quand notre vieux sage nous annonce la bouche en cœur qu’il nous laisse son bateau encore pour cette journée-là.
La plus belle journée que je pouvais espérer. Cet équipier assis à ma gauche, a fini par sourire et avouer qu’il ne savait faire que râler, j’ai cassé la glace en disant que mon surnom était Belzebuth et que je ne connais jusque là personne à la hauteur de ma mauvaise humeur et mes râleries ! On a ri, et je pense que j’ai du rire des heures ce jour-là. Ah ça oui, qu’est-ce qu’il râle, sauf quand on dépasse 4 Néos d’un coup et qu’on fait les fous. Je suis rentrée chez moi ce soir-là, les étoiles dans les yeux et le sourire jusqu’à mes oreilles. Toutes les photos en sont la preuve, et mon entourage ne m’avait plus vue si rayonnante depuis…. Tellement longtemps que personne ne s’en souvient.
Voilà qu’après le vieux sage, c’est cet équipier, qui me recolle deux jours de régate dans notre petit club, avec une partie de ceux que nous connaissions de la Normandie. Je n’ai jamais autant ri ni aimé ce bateau… j’ai découvert quelqu’un que j’avais envie de connaître, plein de défauts mais ils s’accordent tellement bien avec les miens, que ça en est drôle ! Ce qui a été moins drôle ce soir-là, et que peu ont remarqué, c’est ce que j’ai sorti de mon cœur hier soir suite aux derniers mots entendus sur mon équipier. Parce que oui ce n’est pas tout rose avec lui, mais lui a prouvé bien plus que ces mots à son encontre….
Une tempête s’est abattue sur nous à cette deuxième régate, sommes rentrés tout juste au ponton pour me décharger, il était seul. Les voiles qui tournaient dans tous les sens, la pluie qui commençait à tomber, le bateau qu’il fallait bouger en urgence après m’avoir sortie, car les autres arrivaient avec la sécu, et qu’il était plus qu’urgent de mettre tout le monde en sécurité. Il a tout géré, avec un air sévère et stressé car c’était une première pour lui. Je lui ai fait confiance, et j’ai eu raison. Il s’est démené, a crié pour avoir de l’aide en urgence, déjà pour aller chercher ma chaise roulante et l’aider avec la poulie. Il était seul, jusqu’à ce que Morgane arrive en urgence. Elle était aussi stressée que lui voyant les autres arriver. Ils y sont arrivés. Mais Morgane sortant de maladie et toute belle et mince, n’arrivait pas à me remonter vers le parking. Mon équipier a réussi à faire la place pour le deuxième PMR Virginie à devoir sortir de là en urgence. Il a vite repris le relais de Morgane pour me mettre en sécurité là-haut sous le coffre de sa voiture, tentant de me protéger en donnant ses propres affaires pour m’éviter le plus possible d’être trempée, alors que lui se prenait l’orage de plein fouet. Il a dû faire tout le tour du parking, sous une pluie et foudre de plus en plus impressionnantes, évitant les trous, de me faire tomber, avec Morgane qui ouvrait la voie et essayait de maintenir les vestes sur moi et lui montrer par où passer, l’aidant tant bien que mal avec une visibilité quasi nulle et une route inondée.
Ils ont réussi, j’étais trempée mais pas autant qu’eux, personne ne les a aidés, car bien trop occupés à boire et rester au sec. Personne ne l’a même remarqué, sauf Jean qui a réussi à nous rejoindre tout inquiet car lui aidait ceux qui étaient derrière nous. Tout le monde a ri de mon t-shirt blanc devenu bien transparent, mais personne n’a bougé pour trouver des vêtements secs à mes sauveurs du jour, si savoir comment ils allaient ou s’ils s’étaient faits mal dans la bagarre… Pourtant, eux avaient été là pour moi. C’est ça une équipe, c’est ça une amitié, c’est se foutre dans la galère ensemble et en rire après. C’est pouvoir compter l’un sur l’autre quoi qu’il arrive. C’est une confiance sans faille et des liens qui se créent comme il ne s’en crée pas souvent et avec grand monde. C’est comme on dit au Canada, tomber en amour pour quelqu’un et pas seulement pour une relation amoureuse. Je suis tombée en amour pour ce petit groupe d’irréductibles cœurs vaillants, qui ont encore cette rareté et cette richesse du don de soi sans rien attendre en retour. C’est se regarder en souriant sans savoir pourquoi, sinon être heureux d’être ensemble. C’est faire le gros dos quand ça ne va pas, c’est avoir mal quand l’autre souffre. C’est être un binôme.
Alors hier soir, après avoir sorti tout ça, mon vieux sage m’a dit que ça aussi devait se savoir, et que mon équipier (et les autres) méritait largement plus que des échanges de mails dévastateurs et complètement hors sujets de personnes qui ne sont pas/peu concernées et qui ne cherchent qu’une seule chose : salir une des plus belles personnes qui m’entoure. Je peux supporter mon équipier mais pas la méchanceté, car lui, contrairement à beaucoup ici, ne demande rien en retour, et certainement pas de la diffamation pareille sur la place publique et face aux gens qui tiennent à lui pour ce qu’il est et non pour ce qu’il rapporte.
À mon ami, à Ramses Deforce
De la part d’une vieille chouette et son vieux sage